Spiritualité kota et Développement Durable
Jean-Didier NZEWE ANGOUE, Assistant de recherche au CICIBA à Libreville, mène un travail de recherche sur la spiritualité Kota, et m'a fait part de son souhait de décrire ici, brièvement, le sujet de son étude, les contextes et objectifs.
Voilà ce qu'il écrit :
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« En 2005, j’avais pris part, à Kinshasa, République Démocratique du Congo, à un séminaire sur la guérison spirituelle en lien avec la notion d’identité culturelle.
Ce séminaire organisé par M. Kiatézua L.Luyaluka (1) dans le cadre d’un cours d’instruction primaire sur la guérison spirituelle selon les enseignements du Metaphysical College of Mary Baker Eddy, s’articulait autour d’un point focal : montrer que les difficultés rencontrées par les praticiens de la guérison spirituelle en Afrique sont dues au fait qu’ils travaillent dans un environnement socioculturel avec un modèle théorique exogène, le modèle occidental.
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Pour résoudre ce problème, l’instructeur avait développé une approche novatrice.
Selon le Dr Kiatézua, bien que la pratique de la guérison spirituelle repose sur des lois universelles, il n’en demeure pas moins qu’il existe des particularismes propres à chaque environnement culturel qu’il faut absolument prendre en considération pour rendre le traitement efficient.
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La formation reçue pendant ce cours d’instruction donnait aux récipiendaires, la capacité de s’installer comme praticien de la guérison spirituelle afin de répondre aux attentes du public en la matière.
En effet, pendant mes années de pratiques (2005-2007), j’ai eu l’occasion d’expérimenter l’approche du Dr Kiatezua bâtie sur sa connaissance du patrimoine immatériel Bakongo et de la méthodologie du Metaphysical College of Mary Baker Eddy, et de venir à bout de certains maux dont souffraient nos patients.
Or, si je voulais être plus efficace dans ma pratique, il me fallait élaborer un discours scientifique de la thérapeutique des peuples de mon environnement socioculturel : les Saké dont on maîtrise bien les us et coutumes.
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Population d’étude :
Les peuples Kota se seraient installés vers la fin du 14ème et au début du 16ème siècles, dans la région nord du Gabon actuel. Ils sont arrivés dans cette région suite à un grand mouvement migratoire. Au 19ème siècle, les Kota constituent un vaste ensemble qui s’étend du bassin de l’Ivindo (au nord du Gabon) jusque dans la région de la Zanaga (au sud) qui est un village de l’actuel République du Congo.
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Lorsque l’on parle de Kota, on fait allusion à deux groupes ethnolinguistiques appelés selon la terminologie de E. Anderson, les Kota du Sud et les Kota du Nord.
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Problème soulevé :
Selon une approche philologique, l’esprit de l’Evangile converge fortement avec les racines profondes de la pensée des peuples Kota anciens.
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Le principal obstacle à tout projet de développement durable en Afrique, en général, et chez les Kota, en particulier, est un problème culturel. Ce problème porte sur la difficulté à faire le lien entre le modèle occidental de développement introduit en Afrique par le colonisateur et les missions religieuses, et la vision et sagesse (ce que les anciens Kota connaissaient déjà du Divin grâce à leurs enseignements) qui est déjà répandue sur ce continent.
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Je souhaite, par la présente étude, proposer un modèle de cette connexion, préalable au développement durable.
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Ainsi, la connexion entre les intuitions spirituelles des Kota et l’esprit de Evangile pose le problème de l’existence de Trois sortes de mystères (divins, humains, et mystères démoniaque) dans la spiritualité Kota et de la sorcellerie.
La notion de mystère :
Le mot mystère vient du grec « mustes » qui veut dire initié. Webster donne la racine «myein» qui veut dire être fermé, en parlant des yeux ou des lèvres. Strong, donne deux autres racines: « muo » et « mueo » qui veulent respectivement dire: fermer la bouche et initier.
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De ces différentes racines, se dégage l’idée que le mot initiation renvoie à un secret ; bien mieux, la notion de mystère, à travers l’idée du silence imposé lors de l’initiation aux rites religieux secrets, désigne un ensemble de doctrines secrètes et de rites initiatiques dont la révélation devrait apporter le bien-être.
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Nous pouvons alors désigner les enseignements dispensés dans les académies traditionnelles Kota par le mot grec « musterion » (ou mystère en français).
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Ainsi un adepte d’une de ces écoles est « un être de lumière, celui qui connaît des secrets du ciel et de la terre et qui les utilise dans les voies du progrès de l'espèce humaine et son salut ». Les trois mystères étaient enseignés dans les académies religieuses et traditionnelles. Il s’agissait d’enseignements légaux, autorisés par la société. Par contre, la sorcellerie n’a jamais eu de cadre légal d’enseignement.
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La problématique de mon étude sur la spiritualité Kota dans son rapport au développement durable, est sanctionnée par la question suivante :
Comment un peuple qui a connu un apogée culturel et technologique (2) dans le passé, par la diversité et la stylisation très avancée de ses masques, des faces de ses reliquaires, puisse se retrouver dans un état de sous intégration socioculturelle, dans le contexte de mondialisation ?
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Hypothèses :
Avant la pénétration coloniale en pays Kota, les peuples Kota possédaient une technologie très avancée. Cette technologie se transmettait d’une génération à une autre au sein d’une même tribu, à travers les écoles initiatiques dont les deux principales sont : Moungala, Emboli (pour les hommes), Isembo (pour les femmes), et Bwété. La plus grande manifestation publique de ces académies traditionnelles est la fête de la circoncision (Satshi).
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La vaste campagne de diabolisation dont a été l’objet les écoles mystères Kota, a conduit progressivement vers une crise profonde de l’identité culturelle des Kota qui a entraîné la déperdition des savoirs et des savoirs faire ancestraux qui faisaient autrefois la fierté et la richesse de ces peuples.
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Les premières victimes de cette sape furent le corps des initiés, véritables artisans du développement durable.
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De manière erronée, l’étiquette de sorciers leur a été attribuée car ils possèdent des facultés spirituelles accrues qu’on a abusivement identifiées à la sorcellerie. Ces facultés posaient problèmes, elles permettaient aux initiés de réaliser des œuvres extraordinaires aux yeux du commun des mortels: l’audition intérieure (intuition), la claire audience, le pouvoir de lire dans la pensée, le pouvoir d’être à deux endroits la fois (bilocation), le pouvoir de se dédoubler (agir « en dehors de son corps physique »), la voyance, la capacité de guérir les maladies par des méthodes ancestrales, le rêve lucide (3). L’illumination et le pouvoir étaient le résultat d’une pratique assidue d’une mise en pratique des enseignements reçus après l’initiation.
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La mise à l’écart des initiés explique le retard accusé par les Kota actuels dans le processus d’intégration socioculturelle.
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Intérêts :
Je veux faire une analyse du patrimoine culturel immatériel Kota dans le but de montrer comment, à partir de l’exemplarité de ce peuple, les Bantu peuvent s’appuyer sur leur culture pour une meilleure intégration socioculturelle; et répondre efficacement aux défis que leur lance le contexte de mondialisation dans lequel ils se trouvent.
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Objectifs :
Je mène des recherches au Centre International des Civilisations Bantu (CICIBA) à Libreville au Gabon en qualité d’assistant de recherches.
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Le CICIBA a pour objectifs : la conservation, la promotion, la préservation des vraies valeurs de la civilisation Bantu, le patrimoine immatériel commun (langages et culture) des peuples Bantu au Nord et au Sud de l'équateur, ainsi que le développement de ces cultures par la recherche, des activités culturelles et le soutien de la créativité dans le monde contemporain.
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Mon étude, à travers son objectif qui est de permettre la découverte de la culture des Kota du Gabon, fait sienne la mission du CICIBA : promouvoir le dialogue interculturel.
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La tradition d’un peuple est dite riche dans la mesure où elle garantit la continuité de l’identité de ce peuple, et permet à ce peuple de respecter la dignité de l’autre différent par sa vision du monde. »
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Jean Didier NZEWE ANGOUE,
Assistant de recherche au CICIBA.
(1) Dr Kiatézua Lubanzadio Luyaluka, Ph.D Hon en Théologie .
(2) L’usage que nous faisons du concept de technologie ici, se rapporte au sens que lui donne LEMA GWETE : ensemble des moyens de production (l’agriculture, la chasse, la cueillette, la pêche, etc.) mis en œuvre par un peuple pour résoudre les problèmes de son adaptation à l’environnement physique qui se traduit par un certain système de technologie (LEMA GWETE, «Maîtrise des milieux, technologie», in RACINES BANTU Bantu roots, CICIBA, -1991- Libreville, p.p.67-97). Dans ce système de technologie, nous incluons également les aspects immatériels de ces moyens de production.
(3) Par rêve lucide, il s’agit d’être capable de programmer son rêve nocturne. Ainsi lorsque l’initié dort, il accomplit dans ce rêve ce qu’il a décidé de faire quand il était éveillé.
Photo 1 : Céramique de Grégoire A. Teri, 2006.
Photo 2 : Peinture de Trigo Piula, 1987.
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source: http://detoursdesmondes.typepad.com/dtours_des_mondes/gabon/